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8 mai / série "20"

8 mai / Chiant (Partie2/2)

samedi 8 mai 2010, par Blackout

Chiant (Partie 2/2)
 
Je suis Joseph depuis bientôt une demi-heure sur un chemin escarpé et rocailleux. Il m’a donné les cannes àporter, c’est un honneur périlleux. Et soudain : la rivière resurgit, elle est àcet endroit retenue par une barrière rocheuse et forme une lagune parfaitement ronde et parfaitement verte.
- Nous serons bien ici.
Je reste debout, hypnotisé par cette mare circulaire. Parcourue de frissons àla moindre brise, l’eau est d’un joli vert céladon. En plissant les yeux l’effet de miroir s’estompe et je vois danser des algues dans le fond et leur ballet est comme la chevelure de la Loreleï. Je n’aime pas tellement l’allemand, mais cette légende me fascine. Soudain, sort de ces cheveux l’ombre d’un gros poisson. Mon cri s’arrête net dans ma gorge car tonton m’a appris àne pas faire fuir le poisson. J’agite mes bras comme un sémaphore et mon ami lève le pouce : il connaît, il approuve. Au bout d’un moment je m’aperçois que la surface s’irise de bleu pâle et de gris. Comme si cela ne suffisait pas, en face un saule pleureur majestueux trempe ses ramures dans l’eau ; àcette heure-ci il nous fait encore de l’ombre. Quel âge a-t-il ce saule ? Je voudrais demander àJoseph, lui sait sà»rement, mais il est trop occupé ; alors j’imagine l’arbre scié dans sa partie la plus épaisse et je compte les anneaux. J’en compte pas loin de cinquante et je suis un peu déçu, je pensais que papy saule était un peu plus vénérable. C’est vrai que le saule pousse vite.
- Assieds-toi.
J’obéis et je pose mes fesses sur une pierre qui semble avoir été làde tout temps pour m’accueillir. Je lève les yeux, ce n’est pas le saule qui fait de l’ombre mais une imposante falaise de craie qui surmonte une forêt broussailleuse.
- Fais attention, il y a sans doute des serpents par ici. Ils viennent s’abreuver.
Je frémis. Cette peur délicieuse qui vous remue les tripes. Je n’ai pas encore touché le matériel.
- Je monte ta canne.
- Merci, Joseph.
Une grenouille minuscule saute sur la terre ferme, sans doute vient-elle aux nouvelles.
Enfin Joseph me tend ma ligne et m’assène deux ou trois consignes. Qu’est-ce qu’il croit ? J’ai déjàpéché... Puis il saisit ma ligne et veut me montrer. Il fouette l’air de sa canne et admire le jet de l’hameçon. Dans un premier temps il ne voit pas le bouchon et se flatte de ce lancer merveilleux. Nous cherchons vainement le flotteur pourtant rouge. Au bout d’un moment qui me semble long je me retourne, et qu’est-ce que je vois ? La ligne emberlificotée dans un arbuste, juste derrière nous. J’évite de rire, ç’aurait pu m’arriver, mais j’en meurs d’envie. Après un quart d’heure de lutte vaine, Joseph, vexé, coupe la ligne et décide qu’on se déplacera de quelques mètres. On sera au soleil mais tant pis.
Une heure que mon bouchon flotte sur la surface verte et lisse, dérangée parfois de cercles concentriques. Je ferre alors, en vain. Mais petit àpetit un calme inhabituel m’envahit et je suis bien. Le cul sur mon caillou je mâchouille un brin d’herbe. Je me sens tellement bien que je souhaiterais ne pas prendre de poisson. Il y a bien eu un cri, c’est Joseph qui a eu une touche grosse comme ça et oublié la consigne. Du coup le poisson a cassé la ligne et mon ami l’a réparée en grommelant.
- Si tu n’envoies pas d’appât tu n’attraperas jamais rien !
Je souris Joseph se venge.
- Le goà»ter !
C’est maman qui est montée jusqu’ànous avec des sandwiches anglais mes préférés, des triangles au pain de mie, jambon édam cornichon ; elle a apporté une gourde de menthe àl’eau. Je l’aime bien maman.
 
Deux heures que mon bouchon flotte sur la surface verte et lisse, dérangée parfois de cercles concentrique. Les oiseaux seuls rayent de leur babil un silence parfait. Il va bientôt falloir revenir, mon père aime regarder l’émission sur le théâtre àla télévision. Le soleil me caresse les oreilles et je me dis que lorsque je serai adulte, j’irai àla pèche, seul, pour profiter du silence, et pas déranger les poissons.
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