Le blues du curé (partie2/2)C’est l’heure de son petit en-cas au curé, il déplie avec ferveur le papier journal dans lequel sa bonne a emballé un sandwich, aujourd’hui, c’est jambon cornichon. Entre par inadvertance un pénitent qui n’a pas vu le panneau, monsieur le curé n’imaginait pas être visité par un non voyant. L’homme trébuche sur la petite marche, à l’entrée du confessionnal. Puis s’agenouille et se confie très vite. Il a souhaité mille morts à l’homme qui a construit la petite bâtisse en bois où l’on vomit sa noirceur. Cette petite marche, là , est maudite jusqu’à la cinquième génération. Puis l’homme sans qu’on lui demande rien chuchote deux Ave trois Pater et sort en se méfiant. Le curé est perplexe. Qu’aurait dit l’homme s’il n’avait pas trébuché ?Le curé a dà » installer un distributeur de tickets car un matin plus chaud encore que les autres, ça a failli se battre pour une place volée dans la file d’attente.Il a soulevé la voilette, il avait l’air de rien. Jamais vu dans la paroisse. Il s’est assis a regardé ses chaussures. Quand on regarde ses chaussures à confesse, c’est qu’on a un vrai péché à se faire pardonner. Mais le curé n’aurait jamais pensé à un crime. Un crime de sang. Cet homme-là , si près que le curé sent son haleine chargée de remords vient de tuer sa femme et son fils à l’arme blanche. Il y a si peu que les corps doivent être encore chauds. L’homme a récité tout ça d’une voix calme sans l’ombre d’une émotion. Il n’a omis aucun détail, au point que le curé rêve d’être un policier, un policier rêverait de tels aveux ; le crime est sordide, mais comment pourrait-il en être autrement. Et l’homme est là , juste de l’autre côté de la grille, calme, comme libéré. Peut-être a-t-il encore l’arme chaude du sang familial dans la poche ? L’homme fait une totale confiance au curé, il doit être profondément croyant. Mais comment peut-on être croyant ?...Trahir le secret de la confession ?A partir de quand peut-on transgresser ? L’homme vient de décharger son acte comme on décharge un revolver sur un corps déjà mort. Par saccades. Le curé reste muet un instant. Il appelle au secours en silence, mais l’église semble soudain vide.Serait-ce ?... Le curé n’a pas peur de la mort. Mais quoi faire pour cet homme en perdition ? L’homme qui attend maintenant depuis un petit moment derrière la grille de bois. C’est la première fois que le curé voit un assassin de près. Du moins le croit-il ? Il s’entend dire d’une voix blanche "Ressentez-vous des regrets ?". L’homme semble réfléchir. "Curieusement, non."En aurait-il perçu s’il avait volé des bonbons ? Le curé se prend à éprouver de la compassion pour cet assassin. Quoi ? Est-ce son job de s’apitoyer sur les victimes ? Le sacerdoce d’un curé c’est de laver des pêchés, si noirs soient-ils.Le curé éreinté sort de sa cabane. Son âme et sa soutane sont chiffonnées. Il appelle son supérieur, c’est urgent. Celui-ci accepte sa confession par téléphone. La conversation est longue le curé parle par saccade, comme s’il pleurait. Mais nous ne saurons rien de ce qui se dit.Secret de la confession.
1er mai / série "20"
1er mai / Le blues du curé (partie2/2)
samedi 1er mai 2010, par